Certains pays riches en pétrole sont parfois confrontés à ce qu’il est convenu d’appeler une « malédiction des ressources », dès lors que l’ensemble de l’économie nationale repose sur les recettes provenant de l’extraction, du raffinage et l’exportation de cette richesse. En effet, il n’est pas rare que cette industrie mobilise la totalité des capitaux d’investissement et de la main‑d’œuvre qualifiée des pays concernés, au détriment des autres secteurs et du système économique dans son ensemble. Bien que l’Amérique latine et les Caraïbes n’aient pas échappé à ce phénomène, la situation devrait évoluer. Connue de longue date pour la profusion de ses combustibles fossiles (particulièrement au Venezuela), la région devrait également être amenée à jouer un rôle important dans la production de deux ressources d’avenir : le lithium et l’hydrogène vert.
Une demande mondiale de lithium en croissance
Le « salar » [désert de sel] d’Uyuni, en Bolivie, abrite le plus important gisement de lithium au monde. Le pays forme d’ailleurs, avec l’Argentine et le Chili le « triangle du lithium », source de quelque 60 % des ressources mondiales du minerai (cf. la figure ci-dessous, où sont présentées les données liées aux réserves et à la production dans différents pays). Des gisements lithinifères sous forme de roche dure ont par ailleurs été récemment découverts au Pérou.
La production de lithium (de même que celle du cobalt, du graphite et d’autres ressources minérales) est appelée à croître de manière exponentielle dans les années à venir. La demande devrait en effet passer de 323 kilotonnes de carbonate de lithium équivalent (LCE) en 2019 à 1 793 kilotonnes en 2030, du fait notamment des besoins du marché chinois. Ceci s’explique par la demande grandissante en matière de technologies non polluantes qu’impose la transition énergétique – telles que les éoliennes et les panneaux solaires – et qui sont tributaires des batteries lithium-ion pour garantir l’approvisionnement en électricité en cas d’absence de soleil ou de vent. Comme le recours aux véhicules électriques est par ailleurs également appelé à se généraliser, la demande en lithium devrait continuer de progresser.
Dans le domaine de la fabrication de batteries, la chaîne de valeur est de plus en plus intégrée verticalement, sachant que le lithium ne représente que 4 à 7 % du coût global de ces produits. Pour tirer pleinement profit du potentiel que recèlent leurs immenses réserves lithinifères, les pays latino-américains devront mettre en place une réglementation et poursuivre leurs partenariats stratégiques et leurs investissements, notamment en faveur de la recherche-développement et de la qualification de la main‑d’œuvre.
De fait, le lithium pourrait bien devenir une ressource qui, pour peu que la fabrication de batteries repose sur une exploitation durable du minerai, rejaillira sur le reste de l’économie. Néanmoins, de réels efforts devront être déployés pour pouvoir tirer pleinement profit de cet atout, sachant que le lithium est une ressource non renouvelable qui n’occupe qu’une place modeste dans la chaîne de valeur globale. Ceci explique pourquoi il est nécessaire que les pays d’Amérique latine et des Caraïbes procèdent aux investissements voulus afin de s’imposer au sein des autres étapes de la chaîne de valeur s’ils entendent tirer profit de l’avantage dont ils disposent. Le cas échéant, le reste de l’économie pourrait bénéficier des retombées de ce secteur, ce qui leur permettra ainsi d’échapper à la « malédiction des ressources ».
Le Chili, par exemple, occupait la première place sur le marché jusqu’en 2017, avant d’être supplanté par l’Australie. Cela s’explique en partie par le manque de clarté en matière de fiscalité, de réglementation et de redevances imposées par les autorités, mais aussi par les difficultés auxquelles ont été confrontés les nouveaux acteurs pour accéder au marché intérieur. Une réglementation plus adaptée aurait permis au pays d’avoir de meilleures chances de se maintenir en tête du marché du lithium.
L’hydrogène vert en plein essor
L’hydrogène connaît aussi un véritable essor en Amérique latine et aux Caraïbes. Les sources d’énergie renouvelables comptent pour 55 % de la production d’électricité dans la région – soit près du double de la moyenne mondiale (35 %) –, sachant par ailleurs que certains pays comme l’Uruguay présentent un taux pouvant atteindre 95 %. Si cette source d’énergie rivalise d’ores et déjà avec les combustibles fossiles (cf. la figure ci-dessous, qui montre que le photovoltaïque est désormais moins coûteux que la production à cycle combiné au gaz), la production d’énergies renouvelables est dépendante du vent et de l’ensoleillement, ce qui la rend instable et oblige à la coupler à des sources stables afin de garantir un approvisionnement continu. C’est pourquoi le recours à des technologies de stockage performantes est toujours nécessaire, et ouvre la voie aux technologies liées à l’hydrogène (en demande croissante) dans le domaine des batteries.
En Amérique latine et aux Caraïbes, les prix de l’hydrogène sont très compétitifs et offrent un avantage concurrentiel dans le domaine de la production d’hydrogène vert (compte tenu de l’augmentation de l’offre), sachant que les énergies renouvelables comptent pour près de 60 % du coût total de production. On estime ainsi que l’hydrogène vert chilien deviendra compétitif par rapport à la production d’énergie fossile dès le moyen terme (sans tenir compte des coûts liés aux émissions de CO2), ce qui dépasse les prévisions à l’échelle mondiale.
Les perspectives mondiales concernant l’hydrogène sont par ailleurs très prometteuses. Moyennant l’adoption des politiques, cette source d’énergie pourrait représenter 7 % du bouquet énergétique d’ici à 2050 (soit 187 millions de tonnes), sous réserve d’un réchauffement de la planète limité à 1,5 °C. Par ailleurs, pour peu que des mesures ambitieuses et universelles soient mises en œuvre, 696 millions de tonnes d’hydrogène pourraient être mobilisées, ce qui permettrait de répondre à 24 % de la demande énergétique mondiale.
Le marché de l’hydrogène s’apparente à celui du gaz naturel, dans la mesure où les coûts d’acheminement (particulièrement contraignant sur de longues distances) sont très élevés, et du fait de l’absence de demande captive. Puisqu’il repose par conséquent sur des contrats à long terme (comme c’est aussi le cas pour le lithium), son essor est soumis à un strict renforcement de la réglementation, afin de garantir des risques financiers minimaux – tant pour les acheteurs que pour les vendeurs –, tout en garantissant des retombées sur les autres secteurs de l’économie.
L’hydrogène vert et le lithium sont donc appelés à jouer un rôle central dans la complétion de l’objectif mondial d’émissions nettes nulles d’ici 2050. Si les prévisions sont très encourageantes, elles sous-estiment très probablement – comme par le passé, s’agissant du recours aux énergies renouvelables – le potentiel que recèlent la production d’hydrogène et la fabrication de batteries. Afin que les États latino-américains tirent pleinement parti des multiples avantages concurrentiels dont ils disposent, et pour que ces atouts stimulent l’ensemble des autres secteurs économiques, il convient de mettre en place dès aujourd’hui les conditions propices aux investissements et à la transformation de la chaîne de valeur.