Tout le monde en parle, mais de quel métavers est-il question ?
Dans une certaine mesure, nous vivons déjà dans des métavers. Les joueurs de League of Legends ou World of Warcraft vous le diront, ils parcourent des mondes virtuels depuis longtemps, s’y rencontrent, y commercent, et y vivent de formidables aventures. Nos réseaux d’entreprise peuvent aussi être vus comme des métavers : nous y partageons du contenu, nous y rencontrons en autant de meetings sur teams, zoom ou autre, en des espaces qui n’existent matériellement pas. Il en va de même de nos réseaux sociaux…
Quelle est la prochaine étape, et jusqu’où irons-nous ? Avec la requalification de Facebook en Meta, nombreux sont ceux qui voient le métavers comme Mark Zuckerberg : un espace virtuel dans lequel nous irons grâce à des casques et des manettes de réalité virtuelle, façon Oculus. C’est possible, et sans doute cela se réalisera-t-il pour des utilisations dédiées, pour lesquelles ce métavers fera la différence…
On peut penser à la formation de spécialistes dans des environnements difficilement accessibles (plateformes off-shore, centrales nucléaires…), à la visite de musées à distance où la manipulation d’œuvres et d’objets (par exemple scientifiques) serait captivante… Mais il semble improbable que les milliards d’utilisateurs de réseaux sociaux ou de smartphones se convertissent à un hypothétique métavers global. Les obstacles sont nombreux : production, coût et confort des casques ; interopérabilité des plateformes ; valeur ajoutée par rapport au si confortable internet mobile…
Mais d’autres métavers sont possibles, sur les appareils que nous avons déjà. À la troisième personne, comme dans la solution Teemew de Manzalab (un métavers corporatif spécialisé dans le monde de l’entreprise et des formations). Ou même en deux dimensions, comme avec la plateforme GatherTown, qui permet d’animer des événements virtuels sur une carte en 2D paramétrable et inspirée des jeux vidéo en pixel-art, à ceci près que les webcams « popent » dès que deux participants passent à proximité… Nombre des fonctionnalités dont nous avons besoin pour interagir à distance sont accessibles sur ces plateformes plus légères.
C’est tout l’enjeu d’aujourd’hui : trouver les cas d’usages et les besoins pour lesquels la réalité virtuelle apportera un « plus » qui vaudra de s’y investir. Les confinements nous en ont fourni en pagaille, mais n’avons-nous pas déjà senti leurs limites et l’envie furieuse de revoir les gens, en vrai ? Et n’est-il pas crucial de s’interroger en amont sur le coût écologique et social de nos métavers ?
Et au-delà ? L’Oasis du livre et du film Ready Player One, ce monde virtuel refuge sur une planète préoccupée par le changement climatique, est-il à notre portée ? En plus de la vue et de l’ouïe couvertes par les casques, ce type de métavers nécessite qu’il parle à nos autres sens, en particulier avec le toucher. Si les technologies haptiques (un système tactilo-kinesthésique physique ou mécanique) et de retour de force existent, il ne semble pas prévu de leur faire envahir les marchés dans un proche avenir. Par ailleurs, le mouvement restera un obstacle technique de taille, souvent passé sous silence : comment ressentir le mouvement sans bouger, ni avoir le mal des transports.
Et puisque nous venons d’ouvrir les portes de la science-fiction, mentionnons le métavers ultime, la Matrix dont nous n’aurions même pas conscience… D’aucuns pensent d’ailleurs que nous y sommes déjà. L’accélération des puissances informatiques ferait que dans un futur lointain de très nombreuses simulations du passé de nos héritiers pourraient exister. Dès lors, comme l’a proposé Nick Bostrom, la probabilité de vivre dans le passé « original » deviendrait ridicule et nous vivrions alors déjà logiquement dans un métavers.
Les Français et le métavers
Si le marché du métavers devait représenter 800 milliards de dollars d’ici à 2024 selon Bloomberg, la vision des Français sur les opportunités et les usages de ce futur virtuel demeure floue.
La preuve avec cette enquête Ifop1 menée cette année auprès d’un échantillon de 1 022 personnes où seulement 35 % des personnes interrogées déclarent comprendre de quoi il s’agit quand on évoque le métavers, dont 14 % « précisément ». L’écart entre les générations est prégnant. Les plus jeunes ont une meilleure connaissance du métavers avec 42 % des 18–24 ans qui ont déjà entendu parler de cette innovation, contre 28 % des 65 ans et plus.
La distinction sociale est également notable. 59 % des diplômés du supérieur sont ainsi sensibilisés au métavers, contre seulement 27 % des personnes sans diplômes. Une double fracture générationnelle et sociale qui se lit dans les représentations associées à cette innovation. Les personnes interrogées ne perçoivent pas la diversité des débouchés possibles de ce futur d’internet et le réduisent le plus souvent au volet divertissement. 21 % jugent d’ailleurs inutiles ces nouveaux usages.
Enfin, le métavers suscite la crainte d’une nette majorité de Français (75 %), même au sein des catégories de population les plus en pointe sur le sujet : 49 % des 18–24 ans sont ainsi méfiants.