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Métavers : l’espoir, les promesses et les inconnus

Savons-nous de quel métavers nous parlons ?

Jean Zeid, Journaliste
Le 6 juillet 2022 |
4 min. de lecture
Raphaël Granier de Cassagnac
Raphaël Granier de Cassagnac
chercheur au CNRS en physique des particules, porteur de la chaire « Science et Jeu vidéo » à l’École polytechnique (IP Paris), et écrivain
En bref
  • Nombreux sont ceux qui voient le métavers comme un espace virtuel dans lequel nous irons grâce à des casques et des manettes de réalité virtuelle, façon Oculus.
  • Mais d’autres métavers sont possibles, sur les appareils que nous avons déjà. À la troisième personne, comme dans la solution Teemew de Manzalab.
  • C’est tout l’enjeu d’aujourd’hui : trouver les cas d’usages et les besoins pour lesquels la réalité virtuelle apportera un « plus » qui vaudra de s’y investir.
  • Cependant, une question majeure reste en suspens : n’est-il pas crucial de s’interroger en amont sur le coût écologique et social de nos métavers dans un monde frappé de plein fouet par la crise écologique ?

Tout le monde en parle, mais de quel métavers est-il question ?

Dans une cer­taine mesure, nous vivons déjà dans des métavers. Les joueurs de League of Leg­ends ou World of War­craft vous le diront, ils par­courent des mon­des virtuels depuis longtemps, s’y ren­con­trent, y com­mer­cent, et y vivent de for­mi­da­bles aven­tures. Nos réseaux d’entreprise peu­vent aus­si être vus comme des métavers : nous y parta­geons du con­tenu, nous y ren­con­trons en autant de meet­ings sur teams, zoom ou autre, en des espaces qui n’existent matérielle­ment pas. Il en va de même de nos réseaux sociaux…

Quelle est la prochaine étape, et jusqu’où irons-nous ? Avec la requal­i­fi­ca­tion de Face­book en Meta, nom­breux sont ceux qui voient le métavers comme Mark Zucker­berg : un espace virtuel dans lequel nous irons grâce à des casques et des manettes de réal­ité virtuelle, façon Ocu­lus. C’est pos­si­ble, et sans doute cela se réalis­era-t-il pour des util­i­sa­tions dédiées, pour lesquelles ce métavers fera la différence…

On peut penser à la for­ma­tion de spé­cial­istes dans des envi­ron­nements dif­fi­cile­ment acces­si­bles (plate­formes off-shore, cen­trales nucléaires…), à la vis­ite de musées à dis­tance où la manip­u­la­tion d’œuvres et d’objets (par exem­ple sci­en­tifiques) serait cap­ti­vante… Mais il sem­ble improb­a­ble que les mil­liards d’utilisateurs de réseaux soci­aux ou de smart­phones se con­ver­tis­sent à un hypothé­tique métavers glob­al. Les obsta­cles sont nom­breux : pro­duc­tion, coût et con­fort des casques ; interopéra­bil­ité des plate­formes ; valeur ajoutée par rap­port au si con­fort­able inter­net mobile…

Mais d’autres métavers sont pos­si­bles, sur les appareils que nous avons déjà. À la troisième per­son­ne, comme dans la solu­tion Teemew de Man­za­l­ab (un métavers cor­po­ratif spé­cial­isé dans le monde de l’entreprise et des for­ma­tions). Ou même en deux dimen­sions, comme avec la plate­forme Gath­er­Town, qui per­met d’animer des événe­ments virtuels sur une carte en 2D paramé­tra­ble et inspirée des jeux vidéo en pix­el-art, à ceci près que les web­cams « popent » dès que deux par­tic­i­pants passent à prox­im­ité… Nom­bre des fonc­tion­nal­ités dont nous avons besoin pour inter­a­gir à dis­tance sont acces­si­bles sur ces plate­formes plus légères.

C’est tout l’enjeu d’aujourd’hui : trou­ver les cas d’usages et les besoins pour lesquels la réal­ité virtuelle apportera un « plus » qui vau­dra de s’y inve­stir. Les con­fine­ments nous en ont fourni en pagaille, mais n’avons-nous pas déjà sen­ti leurs lim­ites et l’envie furieuse de revoir les gens, en vrai ? Et n’est-il pas cru­cial de s’interroger en amont sur le coût écologique et social de nos métavers ? 

Et au-delà ? L’Oasis du livre et du film Ready Play­er One, ce monde virtuel refuge sur une planète préoc­cupée par le change­ment cli­ma­tique, est-il à notre portée ? En plus de la vue et de l’ouïe cou­vertes par les casques, ce type de métavers néces­site qu’il par­le à nos autres sens, en par­ti­c­uli­er avec le touch­er. Si les tech­nolo­gies hap­tiques (un sys­tème tac­ti­lo-kinesthésique physique ou mécanique) et de retour de force exis­tent, il ne sem­ble pas prévu de leur faire envahir les marchés dans un proche avenir. Par ailleurs, le mou­ve­ment restera un obsta­cle tech­nique de taille, sou­vent passé sous silence : com­ment ressen­tir le mou­ve­ment sans bouger, ni avoir le mal des transports.

Et puisque nous venons d’ouvrir les portes de la sci­ence-fic­tion, men­tion­nons le métavers ultime, la Matrix dont nous n’aurions même pas con­science… D’aucuns pensent d’ailleurs que nous y sommes déjà. L’accélération des puis­sances infor­ma­tiques ferait que dans un futur loin­tain de très nom­breuses sim­u­la­tions du passé de nos héri­tiers pour­raient exis­ter. Dès lors, comme l’a pro­posé Nick Bostrom, la prob­a­bil­ité de vivre dans le passé « orig­i­nal » deviendrait ridicule et nous vivri­ons alors déjà logique­ment dans un métavers.

Les Français et le métavers

Si le marché du métavers devait représen­ter 800 mil­liards de dol­lars d’ici à 2024 selon Bloomberg, la vision des Français sur les oppor­tu­nités et les usages de ce futur virtuel demeure floue.

La preuve avec cette enquête Ifop1 menée cette année auprès d’un échan­til­lon de 1 022 per­son­nes où seule­ment 35 % des per­son­nes inter­rogées déclar­ent com­pren­dre de quoi il s’agit quand on évoque le métavers, dont 14 % « pré­cisé­ment ». L’écart entre les généra­tions est prég­nant. Les plus jeunes ont une meilleure con­nais­sance du métavers avec 42 % des 18–24 ans qui ont déjà enten­du par­ler de cette inno­va­tion, con­tre 28 % des 65 ans et plus. 

La dis­tinc­tion sociale est égale­ment notable. 59 % des diplômés du supérieur sont ain­si sen­si­bil­isés au métavers, con­tre seule­ment 27 % des per­son­nes sans diplômes. Une dou­ble frac­ture généra­tionnelle et sociale qui se lit dans les représen­ta­tions asso­ciées à cette inno­va­tion. Les per­son­nes inter­rogées ne perçoivent pas la diver­sité des débouchés pos­si­bles de ce futur d’internet et le réduisent le plus sou­vent au volet diver­tisse­ment. 21 % jugent d’ailleurs inutiles ces nou­veaux usages.

Enfin, le métavers sus­cite la crainte d’une nette majorité de Français (75 %), même au sein des caté­gories de pop­u­la­tion les plus en pointe sur le sujet : 49 % des 18–24 ans sont ain­si méfiants.

1https://​www​.ifop​.com/​w​p​-​c​o​n​t​e​n​t​/​u​p​l​o​a​d​s​/​2​0​2​2​/​0​1​/​1​1​8​7​2​0​-​R​a​p​p​o​r​t.pdf

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