L’intérêt que je porte au métavers est double. En tant qu’ingénieur, je suis toujours curieuse de découvrir les nouvelles possibilités offertes à l’être humain, aux sociétés et aux entreprises par les technologies émergentes. L’autre regard est celui de la responsable numérique soucieuse d’avancer vers une transformation durable et ayant une vigilance accrue à propos des impacts éthiques et environnementaux de ces innovations en devenir, et dont le métavers fait partie.
Un « nouvel internet »
Ma définition de ce métavers est celle d’un continuum d’expériences créé sur la base d’une convergence de technologies nouvelles et anciennes, une sorte d’évolution d’internet. Après l’internet classique, puis l’internet des objets, voilà maintenant l’internet des expériences avec cette notion de continuum d’où vont émerger des opportunités encore inconnues. Internet, quelle que soit sa forme, nous a permis à la fois de consommer, d’apprendre, de nous divertir et d’être beaucoup plus efficaces dans notre vie professionnelle. Son impact sur la vie est réel, tangible.
Il y a une réelle difficulté à appréhender le métavers, car il couvre un large éventail de réalités et des expériences, toutes très variées.
Mais il y a une réelle difficulté à appréhender le métavers, car il couvre un large éventail de réalités et des expériences, toutes très variées. En effet, il peut être expérimenté grâce à la réalité étendue ou non. Pour évoluer dans ces espaces virtuels, on peut utiliser un casque de réalité virtuelle, mais on peut tout aussi s’en passer. On peut se retrouver en présence de monnaies numériques, mais ce n’est en rien une obligation. Et il peut également fonctionner avec le réseau 3G, 4G ou 5G selon les options voulues. Tous ces choix technologiques seront pris très en amont, dès la conception du cas d’usage, et tous auront des impacts éthiques et environnementaux complètement différents.
L’intérêt écologique du métavers
Mon regard sur le métavers, et de façon générale sur la transformation numérique voit un intérêt crucial à réaliser l’écoconception des services qu’on imagine pour le futur. Qu’est-ce-que cela veut dire ? Que nous devons prendre en compte les conséquences de ces transformations numériques très tôt dans la production de ces nouveaux usages. Et pour cela, il faut se poser la question de leur balance environnementale, mais aussi sociale, éthique de l’expérience utilisateur que l’on souhaite mettre en place face à leur valeur rémunératrice, face à leur rentabilité financière. Quel est le différentiel net en prenant toutes ces dimensions en compte ? Est-ce que le bilan est positif ou non ? Doit-on façonner un monde qui se déshumanise avec des risques éthiques causés par le manque de protection des données personnelles, par les « fake news », la violence entre avatars, etc. ? Doit-on laisser filer l’utilisation de données en ligne, synonyme de consommation d’énergie accrue ?
Si le bilan est négatif, alors la réalisation du projet n’est pas souhaitable. En revanche, pourquoi dire non à une ambition qui apporte une réelle contribution positive ? Chez Accenture, nous avons récemment réalisé une étude intitulée Digital4Climate avec Agoria en Belgique, et nous avons montré que le numérique dans les secteurs du smart building, du smart manufacturing ou de la mobilité intelligente pouvait avoir un impact positif sur le bilan carbone. La digitalisation permettrait de produire moins d’émissions de gaz à effet de serre dans un rapport de 1 à 5, c’est-à-dire une émission générée contre cinq émissions évitées. Je crois que nous pouvons atteindre ce même ratio avec le métavers dans certains cas d’usage bien choisis, en intégrant l’éco-conception.
Il y a quelque temps, j’ai mené une session de sensibilisation aux impacts du numérique, au-delà du métavers, pour un ensemble de CIO d’une grande entreprise présente dans le monde entier. Beaucoup d’entre eux n’avaient pas conscience, par exemple, que 2 kilos d’ordinateur nécessitent 800 kilos de matériaux, en particulier pour collecter des métaux, dont certains sont rares. La consommation électrique du numérique doit aussi être maîtrisée, à un moment où d’autres secteurs, comme le transport, passent à l’électrique. Et je ne parle ici que des enjeux environnementaux, mais on sait qu’il y a également des enjeux d’inclusion et d’accessibilité au numérique également, sans oublier la protection des données personnelles et la transparence des algorithmes.
Un message pour tous
Je pense que ce travail de sensibilisation est encore très largement à faire au niveau des grandes entreprises françaises et du grand public. Mais comment amplifier ce message ? Premièrement, je pense qu’il y a un mouvement d’ensemble des grandes entreprises qui, pour la plupart, se sont fixé des objectifs environnementaux, sociaux et de gouvernance très claire. Et ces engagements seront surveillés par les analystes financiers qui adorent mettre les dirigeants des grandes entreprises face à leurs promesses, surtout quand elles ne sont pas tenues.
Deuxièmement, s’il existe une pression de la part de la finance et des dirigeants d’entreprise, il y en a également une de la part des consommateurs. De plus en plus de personnalités sont médiatisées et nous font prendre conscience du lien entre notre impact environnemental et notre utilisation du numérique. Troisièmement, et cela, je le vois tous les jours chez Accenture, les candidats qui viennent participer à nos processus de recrutement sont de plus en plus sensibles aux actions de l’entreprise par rapport à l’Accord de Paris, à la réduction du plastique ou la protection de la biodiversité, etc. C’est une exigence réelle qu’’il faut prendre en compte.
Enfin, il y a l’aspect gouvernance. Il existe désormais des entreprises qui associent le développement durable à tous leurs projets, mais également à tous les niveaux de la hiérarchie de l’entreprise. Dans les faits, le numérique responsable ou la transformation durable deviennent le pivot de toute la chaîne de production. Chez Accenture, nous avons, par exemple, un « responsable sustainability » présent dans tous les secteurs stratégiques de l’entreprise.
C’est à cette condition que le métavers peut devenir le bon élève du numérique. Pour donner une image qui parlera à tout le monde, le métavers pourrait être un enfant d’aujourd’hui qui entre en primaire. Plus sensible et bien mieux éduqué que nous en ce qui concerne la responsabilité environnementale, sociale et éthique, le métavers peut pareillement nous montrer la voie si, dès le départ, on le biberonne à l’écoconception et à la responsabilité environnementale et éthique. Et alors, le pari sera gagné, à la seule condition de ne pas céder aux sirènes du buzz.