Les potentialités des services issus du métavers sont encore largement inconnues. C’est une situation comparable à la bulle internet à la fin des années 1990. À cette époque, beaucoup rêvaient de nouvelles formes de commerce électronique, sans toutefois posséder les technologies qui auraient permis leurs mises en pratique. Nombre de start-ups du secteur vestimentaire promettaient aux clients la mise à disposition de cabines virtuelles, permettant d’essayer sa future chemise ou ses prochaines chaussures. La plupart ont disparu depuis et les sceptiques étaient nombreux à juger que les gens n’achèteraient jamais de vêtements sur internet. Les temps ont bien changé, les mentalités et les outils également.
L’autre événement capital avec lequel je pourrais comparer l’émergence du métavers, c’est l’avènement du réseau mobile de troisième génération UMTS au milieu des années 2000. Là encore, c’était une période où l’on promettait, grâce à cette 3G, de créer de nouveaux services dont la valeur se chiffrait en centaine de milliards de dollars. Mais la plupart d’entre eux n’ont pas vu le jour ou ne se sont pas imposés auprès du grand public. Pour autant, la 3G a été un succès avec l’émergence des réseaux sociaux, du marché applicatif ou encore l’explosion de la publicité sur mobile.
Point de basculement
Aujourd’hui, nous sommes, il me semble, à la veille d’un bouleversement similaire avec le métavers. À un moment que nous ne connaissons pas encore, mais qui me semble proche, les gens vont créer de nouveaux usages, sans savoir quelle technologie il y a derrière leurs nouvelles pratiques. Si désormais, nous utilisons presque tous des smartphones, nous aurons sans doute demain d’autres dispositifs d’accès au métavers via la réalité augmentée ou la réalité virtuelle. Quand ces dispositifs permettront une utilisation fluide, alors viendra le temps du marché de masse. Tout un ensemble de services spécifiques verra le jour et nous vivrons une nouvelle révolution du point de vue des usages numériques.
La première de ces révolutions a été celle de l’ordinateur connecté à internet à travers des moteurs de recherche ou des navigateurs web. Elle avait deux inconvénients : il fallait une connexion filaire, et puis il fallait être chez soi. La seconde révolution fut celle du smartphone à écran tactile où nous sommes passés d’une approche navigateur à une approche application. Elle a entraîné une large modification de nos usages, de notre rapport à la consommation, à la sociabilisation, au divertissement, etc.
Mais la prospective demeure une science complexe. La prochaine révolution après, dans le prolongement du smartphone, devait être celle de la voix avec l’engouement observé autour des enceintes connectées. Mais finalement, cela n’a pas vraiment généré d’usages innovants. La prochaine révolution sera peut-être celle du métavers, c’est-à-dire d’un accès plus immersif aux univers virtuels et qui ne se limitera plus à la surface d’un écran tactile. Avec le métavers, cette physicalité disparaîtra.
Les marchés existent déjà
Il existe déjà des secteurs en pointe en la matière comme celui des jeux vidéo. Ce secteur a déjà un pied dans le métavers depuis près de vingt ans, en produisant des expériences ludiques qui permettent l’immersion dans des environnements virtuels. Une autre partie des innovations proviendra également de l’industrie de la pornographie, toujours aux avant-postes de l’innovation numérique. C’est le premier secteur à avoir ainsi lancé des modèles économiques de type paywall ou d’abonnements pour consommer du contenu en streaming. On en connaît aujourd’hui le succès.
Dans le secteur du commerce, l’enjeu principal du métavers sera sa capacité à créer un univers équivalent aux galeries commerciales, des méta-environnements où viendront s’agréger des plateformes de consommation, des services de divertissement et probablement beaucoup d’autres usages que nous n’avons pas encore imaginés, irrigués ou non par les cryptomonnaies, les NFT et la blockchain.
Mais ce secteur reste encore largement dépendant des contraintes physiques liées à la logistique et à la proximité. Avant l’émergence d’internet, l’achat en magasin était intrinsèquement lié à la proximité géographique. Désormais, les contraintes de distances sont moins fortes, mais elles n’ont pas disparu contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord. Les grandes plateformes du secteur sont restées pour beaucoup des plateformes nationales. Les sites de commerce ne sont pas toujours les mêmes d’un pays à l’autre et les spécificités locales perdurent. Mais s’il y a effectivement des particularismes de consommation, nous voyons bien que ces plateformes mondiales sont capables de s’adapter aux goûts ou aux préférences régionales. Si l’on prend l’exemple de Netflix, ils ont une offre qui est capable de s’ajuster à chaque pays.
Intégration aux plateformes d’aujourd’hui
Il est aussi très probable que le métavers sera le point d’entrée d’un même écosystème, qu’il s’agisse de l’écosystème d’Amazon, Meta ou Apple. Ce qui explique la lutte acharnée entre les GAFAM et certains géants chinois comme Alibaba pour devenir le futur champion de cette nouvelle révolution à venir. Face à l’Asie et aux États-Unis, les acteurs européens ne sont pas en mesure de maîtriser l’ensemble de ces technologies. En France, nous avons par exemple des entreprises très performantes en cryptographie ou en cybersécurité, mais ce n’est pas suffisant pour dominer un tel marché en devenir.
En revanche, ce qui est à peu près certain, c’est qu’il n’y aura pas de métavers mondial unique. Il y aura forcément un métavers chinois par exemple qui ne permettra pas à ses citoyens de visiter des territoires virtuels non soumis à la censure. Les régulations étatiques vont nécessairement créer des limites ou des frontières, même au sein de ces espaces virtuels. Il faudra également protéger les consommateurs, organiser les relations entre les internautes et les plateformes, etc. Et tout ne se passera pas exclusivement sur le métavers. Nous pouvons très bien imaginer une utilisation mixte entre le smartphone, un univers virtuel et même un commerce physique. Le succès des achats en ligne n’a pas tué les magasins. Et d’autres formes de commerce ont vu le jour, permettant un aller-retour entre le monde physique et le monde en ligne.
Enfin, la question de l’accessibilité à ces technologies est à mes yeux cruciale. Comment allons-nous nous approprier collectivement ces technologies et les maîtriser sans créer de nouvelles fractures numériques ? Si je prends l’exemple d’un entretien d’embauche sur le métavers, le candidat maîtrisant ses codes sera-t-il avantagé par rapport au néophyte ? C’est à toutes ces questions que ce métavers balbutiant devra répondre s’il devient la prochaine révolution du numérique.
Des prévisions vertigineuses
Quel poids économique aura dans un futur proche ce métavers ? Pour le cabinet de conseil Gartner InfoTech, les promesses seront tenues : cette nouvelle itération d’internet deviendra très vite incontournable. D’ici 2026, le métavers serait ainsi adopté, selon son étude, par un quart de la population mondiale pour le travail, les achats, l’éducation, les interactions sociales et le divertissement. Nous devrions même passer au moins une heure par jour à porter un casque VR afin de profiter de l’expérience immersive améliorée. Le cabinet prédit également que les NFT et les monnaies numériques alimenteront l’économie de ce monde virtuel. Un rapport de McKinsey confirme ce haut potentiel : le métavers serait capable de générer jusqu’à 5 milliards de dollars de valeur d’ici 2030.