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Les jeux vidéo font-ils progresser la science ?

Quand la pratique du jeu vidéo fait progresser l’IA

Jean Zeid, Journaliste
Le 6 octobre 2021 |
4 min. de lecture
Axel Buendia
Axel Buendia
professeur du Cnam, titulaire de la Chaire Médias interactifs numériques et directeur du Cnam-Enjmin
En bref
  • Certains développements de l'IA n'ont été réalisés que grâce aux nouvelles possibilités offertes par les jeux vidéo.
  • L'IA des jeux vidéo doit être capable de créer une brève illusion dans l'environnement du joueur pour améliorer l'expérience immersive, y compris le comportement des personnages « non-joueurs ».
  • Deuxièmement, elle doit être utilisée pour surprendre le joueur avec des capacités telles que des dialogues très réalistes ou une IA émotionnelle, ce qui signifie que de nombreux jeux sont basés sur des intelligences artificielles de plus en plus complexes.
  • Troisièmement, elle doit servir à analyser le joueur, en utilisant l'IA adaptative ou l'apprentissage statistique, afin de collecter des données et d'améliorer les caractéristiques du jeu, ce qui est devenu plus facile avec la multiplication des jeux en ligne.
  • Néanmoins, l'IA reste un artefact secondaire, juste derrière les graphismes, qui restent le principal argument de vente.

Le marché mon­di­al du jeu vidéo est aujourd’hui estimé à plus de 100 mil­liards d’euros. C’est un secteur colos­sal du diver­tisse­ment. Des évo­lu­tions tech­nologiques sont ain­si réal­isées unique­ment parce qu’il y a des débouchés dans ce domaine. L’exemple le plus frap­pant est celui des cartes graphiques des ordi­na­teurs. Aujour­d’hui, elles n’évolu­ent que parce que le jeu vidéo pousse la 3D en temps réel dans ses retranche­ments. La sit­u­a­tion est iden­tique pour les algo­rithmes de ren­du temps réel. Les investisse­ments, et les pro­grès qui vont avec, seraient moin­dres sans l’économie du jeu vidéo. On peut égale­ment citer la réal­ité aug­men­tée ou la réal­ité virtuelle qui sont exacte­ment dans le même cas. Le jeu vidéo à un impact sur la recherche – et notam­ment sur l’intelligence artificielle.

Objectif 1 : comprendre les joueurs

Qui plus est, l’intelligence arti­fi­cielle dans les jeux vidéo forme un domaine par­ti­c­uli­er. En effet, dans un jeu vidéo, il ne s’ag­it pas de tout faire pour bat­tre la joueuse ou le joueur, con­traire­ment à ce qu’on pour­rait penser. Il s’agit de lui pro­pos­er un défi. L’IA doit donc par­fois gag­n­er, mais aus­si per­dre de temps à autre. Sinon, les joueurs arrê­tent de jouer. Mais l’intelligence arti­fi­cielle des jeux vidéo ne se can­tonne pas à ani­mer l’opposition.

D’abord, elle est utile dans la per­cep­tion de l’en­vi­ron­nement par le joueur. Com­ment la caméra se posi­tionne de manière cohérente par rap­port à la per­cep­tion de l’avatar, la dif­fu­sion des lumières, la musique, etc. Lorsque je me déplace dans un jeu, mon envi­ron­nement doit com­pren­dre ce que je fais ou ce que je veux faire pour m’assister.

Mais ce que les gens perçoivent en pre­mier de l’intelligence arti­fi­cielle dans les jeux vidéo, ce sont les PNJ, les per­son­nages non-joueurs. Leur but est de faire illu­sion de manière brève. Dans un jeu de guerre, la plu­part des joueurs ne s’amusent pas à regarder des gardes pen­dant une demi-heure. Il le ver­ra quelques sec­on­des avant de lui tir­er dessus ou de se faire tir­er dessus. Une IA qui marche bien est avant tout une IA qu’on ne voit pas. La sit­u­a­tion à éviter est un PNJ qui bute à l’infini sur le rebord d’une table, sans jamais repren­dre sa course normale.

L’IA des adver­saires est ain­si beau­coup plus facile à coder que celle des alliés gérés par l’ordinateur. Avec l’ad­ver­saire, la rela­tion est brève. Il n’a pas besoin de com­pren­dre vrai­ment ce que je suis en train de faire, alors qu’un allié doit com­pren­dre ce que je fais, comme pren­dre les enne­mis à revers ou me cou­vrir lors d’une attaque. C’est pourquoi nous util­isons sou­vent des ordres, qui sim­pli­fient grande­ment la pro­gram­ma­tion des IAs des alliés.

Objectif 2 : surprendre les joueurs

Le pre­mier niveau de l’IA dans un jeu con­siste à faire tout ce qui est pos­si­ble pour pro­duire un envi­ron­nement cohérent et crédi­ble. Le deux­ième niveau, con­siste à sur­pren­dre le joueur. Il s’ag­it ici d’un niveau plus avancé. Cer­taines y arrivent, d’autres pas. L’histoire du jeu est jalon­née de plusieurs exem­ples d’intelligences arti­fi­cielles célèbres. Depuis les fan­tômes de Pac-Man, en pas­sant par les marines de HalfLife (capa­bles de se coor­don­ner pour des actions tac­tiques), les extrater­restres de Cap­tain Blood (aux capac­ités de dia­logue très réal­istes), les Crea­tures (véri­ta­bles ani­maux domes­tiques dotés d’une intel­li­gence cer­taine) ou les avatars semi-autonomes de Black & White (capa­bles d’apprendre votre style de jeu pour adapter leur com­porte­ment), ou enfin la sta­tion spa­tiale d’Event0 (IA émo­tion­nelle que vous devez con­va­in­cre de vous aider), de nom­breux jeux se basent plus par­ti­c­ulière­ment sur l’IA plus complexe.

Objectif 3 : s’adapter aux joueurs 

La troisième fonc­tion con­siste à analyser le joueur, ses réac­tions face aux défis. C’est ici que l’on retrou­ve la mode des intel­li­gences arti­fi­cielles adap­ta­tives ou d’ap­pren­tis­sage sta­tis­tique. Le jeu va envoy­er des don­nées sur les serveurs de l’édi­teur ou du stu­dio, et ces don­nées vont être analysées pour savoir ce qui a été appré­cié ou pas dans le jeu. Et ces analy­ses de don­nées vont remon­ter jusqu’au con­cep­teur du jeu. Aujour­d’hui, dans un marché qui se trou­ve large­ment en ligne, cette démarche s’est sim­pli­fiée. Très en amont sont lancées des ver­sions alpha ou bêta du jeu pour les faire jouer à un max­i­mum de per­son­nes et récolter un max­i­mum de don­nées afin de mod­i­fi­er le jeu en con­séquence au moment de la sor­tie offi­cielle. Cette démarche a plein d’ef­fets sec­ondaires positifs.

Par exem­ple, elle crée une com­mu­nauté, et cer­tains stu­dios de jeu lan­cent des recherch­es sur la mod­i­fi­ca­tion du con­tenu en temps réel. C’est une vraie per­cée dans le con­cept d’analyse en temps réel. Une nou­velle étape serait celle d’avoir une rela­tion avec le joueur, pas for­cé­ment via le dia­logue, mais une rela­tion suff­isam­ment crédi­ble pour que le joueur ait l’im­pres­sion de faire face à de véri­ta­bles intel­li­gences humaines. Ce qui rejoindrait l’utopie ini­tiale. Mais nous n’en sommes pas encore là.

Pour les jeux vidéo, et même si elle joue un rôle impor­tant, l’IA reste encore aujourd’hui un arté­fact de sec­ond plan, pas­sant après les visuels, qui restent le prin­ci­pal argu­ment de vente. Il est plus facile de faire pass­er rapi­de­ment les points clef d’un jeu (son univers, son his­toire, ses per­son­nages) au tra­vers de visuels plutôt qu’au tra­vers d’intelligences arti­fi­cielles, plus longues à expéri­menter et donc moins vendeuses…

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