Le marché mondial du jeu vidéo est aujourd’hui estimé à plus de 100 milliards d’euros. C’est un secteur colossal du divertissement. Des évolutions technologiques sont ainsi réalisées uniquement parce qu’il y a des débouchés dans ce domaine. L’exemple le plus frappant est celui des cartes graphiques des ordinateurs. Aujourd’hui, elles n’évoluent que parce que le jeu vidéo pousse la 3D en temps réel dans ses retranchements. La situation est identique pour les algorithmes de rendu temps réel. Les investissements, et les progrès qui vont avec, seraient moindres sans l’économie du jeu vidéo. On peut également citer la réalité augmentée ou la réalité virtuelle qui sont exactement dans le même cas. Le jeu vidéo à un impact sur la recherche – et notamment sur l’intelligence artificielle.
Objectif 1 : comprendre les joueurs
Qui plus est, l’intelligence artificielle dans les jeux vidéo forme un domaine particulier. En effet, dans un jeu vidéo, il ne s’agit pas de tout faire pour battre la joueuse ou le joueur, contrairement à ce qu’on pourrait penser. Il s’agit de lui proposer un défi. L’IA doit donc parfois gagner, mais aussi perdre de temps à autre. Sinon, les joueurs arrêtent de jouer. Mais l’intelligence artificielle des jeux vidéo ne se cantonne pas à animer l’opposition.
D’abord, elle est utile dans la perception de l’environnement par le joueur. Comment la caméra se positionne de manière cohérente par rapport à la perception de l’avatar, la diffusion des lumières, la musique, etc. Lorsque je me déplace dans un jeu, mon environnement doit comprendre ce que je fais ou ce que je veux faire pour m’assister.
Mais ce que les gens perçoivent en premier de l’intelligence artificielle dans les jeux vidéo, ce sont les PNJ, les personnages non-joueurs. Leur but est de faire illusion de manière brève. Dans un jeu de guerre, la plupart des joueurs ne s’amusent pas à regarder des gardes pendant une demi-heure. Il le verra quelques secondes avant de lui tirer dessus ou de se faire tirer dessus. Une IA qui marche bien est avant tout une IA qu’on ne voit pas. La situation à éviter est un PNJ qui bute à l’infini sur le rebord d’une table, sans jamais reprendre sa course normale.
L’IA des adversaires est ainsi beaucoup plus facile à coder que celle des alliés gérés par l’ordinateur. Avec l’adversaire, la relation est brève. Il n’a pas besoin de comprendre vraiment ce que je suis en train de faire, alors qu’un allié doit comprendre ce que je fais, comme prendre les ennemis à revers ou me couvrir lors d’une attaque. C’est pourquoi nous utilisons souvent des ordres, qui simplifient grandement la programmation des IAs des alliés.
Objectif 2 : surprendre les joueurs
Le premier niveau de l’IA dans un jeu consiste à faire tout ce qui est possible pour produire un environnement cohérent et crédible. Le deuxième niveau, consiste à surprendre le joueur. Il s’agit ici d’un niveau plus avancé. Certaines y arrivent, d’autres pas. L’histoire du jeu est jalonnée de plusieurs exemples d’intelligences artificielles célèbres. Depuis les fantômes de Pac-Man, en passant par les marines de HalfLife (capables de se coordonner pour des actions tactiques), les extraterrestres de Captain Blood (aux capacités de dialogue très réalistes), les Creatures (véritables animaux domestiques dotés d’une intelligence certaine) ou les avatars semi-autonomes de Black & White (capables d’apprendre votre style de jeu pour adapter leur comportement), ou enfin la station spatiale d’Event0 (IA émotionnelle que vous devez convaincre de vous aider), de nombreux jeux se basent plus particulièrement sur l’IA plus complexe.
Objectif 3 : s’adapter aux joueurs
La troisième fonction consiste à analyser le joueur, ses réactions face aux défis. C’est ici que l’on retrouve la mode des intelligences artificielles adaptatives ou d’apprentissage statistique. Le jeu va envoyer des données sur les serveurs de l’éditeur ou du studio, et ces données vont être analysées pour savoir ce qui a été apprécié ou pas dans le jeu. Et ces analyses de données vont remonter jusqu’au concepteur du jeu. Aujourd’hui, dans un marché qui se trouve largement en ligne, cette démarche s’est simplifiée. Très en amont sont lancées des versions alpha ou bêta du jeu pour les faire jouer à un maximum de personnes et récolter un maximum de données afin de modifier le jeu en conséquence au moment de la sortie officielle. Cette démarche a plein d’effets secondaires positifs.
Par exemple, elle crée une communauté, et certains studios de jeu lancent des recherches sur la modification du contenu en temps réel. C’est une vraie percée dans le concept d’analyse en temps réel. Une nouvelle étape serait celle d’avoir une relation avec le joueur, pas forcément via le dialogue, mais une relation suffisamment crédible pour que le joueur ait l’impression de faire face à de véritables intelligences humaines. Ce qui rejoindrait l’utopie initiale. Mais nous n’en sommes pas encore là.
Pour les jeux vidéo, et même si elle joue un rôle important, l’IA reste encore aujourd’hui un artéfact de second plan, passant après les visuels, qui restent le principal argument de vente. Il est plus facile de faire passer rapidement les points clef d’un jeu (son univers, son histoire, ses personnages) au travers de visuels plutôt qu’au travers d’intelligences artificielles, plus longues à expérimenter et donc moins vendeuses…