Les générations de téléphonie mobile se renouvellent environ tous les 10 ans. Pourtant, plus qu’aucune autre, le déploiement de la 5G a enflammé le débat public12. La raison tient, pour une large part, à la difficulté de poser les enjeux d’une technologie qui, au-delà de ses innovations techniques et des services associés, représente à bien des égards une rupture majeure. Certes, les premiers usages consistent surtout à densifier les réseaux actuels, voire, dans certains pays, à compléter les couvertures très haut débit. Mais, par ses innovations, sa flexibilité et ses performances, la 5G sera une révolution pour l’industrie : son enjeu n’est pas de voir des films sur « Netflix » plus rapidement. Contrairement aux générations précédentes, son marché est principalement celui des filières industrielles à qui elle offre, tout comme la fibre, une formidable opportunité de numérisation.
Un système technique bénéfique à de nouveaux services
Techniquement, la 5G est un système porteur de potentialités complémentaires répondant de manière spécifique à différents besoins. La 5G vise d’abord à éviter la congestion de la 4G en répondant au doublement annuel des données échangées sur les réseaux de télécommunications. Mais la 5G améliore surtout la qualité des services de télécommunications mobile : pour les usages grand public (débit, mobilité) et, dans une plus large mesure, pour les besoins spécifiques de multiples secteurs (santé, énergie, automobile, collectivités locales, médias, agriculture).
Les innovations à la base de ces potentialités sont de plusieurs ordres. Il s’agit d’abord de la capacité3 à connecter massivement de très nombreux objets (les dizaines de milliers de conteneurs d’un port par exemple). C’est ensuite la possibilité d’assurer des communications critiques et à faible latence, notamment avec l’arrivée des véhicules autonomes connectés supposant une quasi-instantanéité des réactions. Enfin, c’est la faculté de moduler, de manière dynamique, la configuration d’un réseau de télécommunications4 pour optimiser son utilisation simultanée par des applications aux contraintes différentes (volume des données, sécurité, instantanéité, haut débit) : pensons par exemple à la multiplicité des utilisations dans les enceintes publiques telles que les gares.
La 5G s’appuie aussi sur l’utilisation localisée de nouvelles gammes de fréquences dites millimétriques, à l’intérieur ou à l’extérieur, ouvrant des bandes passantes et des débits particulièrement importants : imaginons l’utilité pour le pilotage et la conduite à distance d’engins ou robots industriels. La 5G vise également à l’amélioration de la performance énergétique des réseaux mobiles en agrégeant plusieurs fréquences, en mobilisant des antennes actives « intelligentes » (ne se déclenchant que si nécessaire5) ou au contraire des toutes petites6. Enfin, la 5G repose sur des architectures d’infrastructure flexibles grâce à la virtualisation des fonctions de réseau7 et la concentration des stations de base en mode coopératif8.
Les applications de la 5G
La 5G couple ainsi la mise en œuvre de technologies disruptives (antennes actives, ondes millimétriques, smart cells) avec la possibilité d’innover, de manière plus progressive, sur des services applicatifs, à partir d’initiatives, d’acteurs et d’investissements effectués à différents niveaux. Il ne faut donc pas voir la 5G dans une perspective techno push, c’est-à-dire une technologie qui s’imposerait et définirait des impacts de manière univoque. Mais dans une vision demand pull, c’est un ensemble de ressources technologiques faisant système, ouvrant la possibilité d’innovations et d’applications nouvelles, dont les entreprises peuvent se saisir.
Le constat des déploiements réalisé aujourd’hui reflète cette perception paradoxale. D’une part, la plupart des experts, opérateurs compris, insistent sur le fait que la 5G (et son modèle économique) répond surtout aux besoins des grands secteurs d’activités et filières industrielles. Les expérimentations ouvertes par l’Arcep depuis 2018 comme les développements déjà à l’œuvre à l’étranger fournissent ainsi une bonne vision des différents cas d’usage sur lesquels la 5G est attendue. Ce sont : l’équipement des grandes enceintes sportives, les espaces publics tels que gares, ports, aéroports où se conjuguent activité industrielle et public de masse, la numérisation de filières industrielles telle celle de l’automobile électrique et connectée, l’amélioration des services de santé (de la téléconsultation aux interventions à distance), le support à l’automatisation des usages industriels spécifiques notamment dans les environnements à risque.
Pour autant, la supervision des déploiements assurée par des acteurs publics tels que l’Arcep9 ou l’ANFR10 continue de se concentrer, comme traditionnellement, sur les usages grand public. Ils rendent ainsi régulièrement compte, mois après mois, des déploiements des sites de 5G (30 092 autorisés en novembre 2021, dont 19 824 opérationnels). Ils analysent la couverture et comparent la qualité de service offerte aux usagers du quotidien par chacun des opérateurs (débit et couverture). Ces mesures sont importantes, car elles permettent de relever une rapidité du développement bien plus forte que ce qu’avait connu la 3G ou la 4G. Pour autant, rien n’est fait pour calibrer le développement des usages industriels.
Les modèles économiques de la 5G
La 5G représente, globalement, un véritable mur d’investissements. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que son intérêt sociétal soit source de débat. D’une part, la mise en avant des besoins grand public occulte ceux des entreprises. D’autre part, les modèles économiques des opérateurs de télécommunications, des équipementiers, des plateformes ou fournisseurs d’applications, et des entreprises utilisatrices s’intriquent : ils appellent une large interopérabilité des données, des applicatifs et des réseaux, mais créent aussi des formes inédites de concurrence verticale entre infrastructures, opérateurs, nouveaux intermédiaires, acteurs des filières industrielles.
Se dessinent ainsi plusieurs manières d’envisager la montée en puissance de la 5G, selon que l’on envisage celle-ci comme simple prolongement de la 4G, comme support de réseaux privés locaux, comme partie intégrante des offres « business » des opérateurs, ou encore comme base de la numérisation des entreprises et des chaînes d’approvisionnement. Loin de redéfinir seulement l’équilibre entre usages grand public et entreprise, les fonctionnalités de la 5G se traduisent par de nouvelles articulations entre échelon national et territorial (quartiers de ville, zones d’activité, entreprises, stades ou hôpitaux).
Pour la couverture d’ordre national et territorial, ce sont les opérateurs qui supportent les coûts (achats de fréquence, construction des sites et déploiement des infrastructures)11. Les utilisateurs disposent ainsi d’une technologie dont seul le coût d’utilisation leur est imputé (sur des modalités restant néanmoins à stabiliser). Mais ils doivent assurer des coûts non négligeables d’appropriation, de numérisation desprocédés, de développement des services et de gestion du changement. Pour les déploiements locaux et d’ordre privé, ce sont les entreprises qui investissent dans la construction et la maintenance de leur propre infrastructure. Les acteurs industriels puissants bénéficient de ce fait d’un avantage, mais le mur des investissements constitue aussi une incitation à des stratégies de mutualisation comme on le voit dans les zones aéroportuaires ou dans de grands projets tels que les Jeux Olympiques ou les smart cities.